Cahier n°18 – Maison organique, le langage du vivant

Sommaire

  • Editorial : Etre avec
    • Yannick CHAMPAIN, architecte
  • La demeure organique – origine et développement d’une méthode
    • Dominique BEAUX, architecte
  • Projets d’architectes
    • Dominique Beaux « La maison T »
    • Damien Carnoy « Maison Crabbé »
    • Mathieu Winter « Maison Jacob », « Maison Doppler »
    • Patrice Bideau « Maison bioclimatique »
    • Jean-Luc Thomas « Maison à Hohwart »
    • Pauline Denis-Chandre « Maison Souami »

Edito

Être avec

Les maisons organiques interpellent, elles appellent, elles racontent.

Issues de processus vivants, on ne pourrait en définir un prototype. En revanche, il est possible de leur trouver des racines communes, racines à partir desquelles les développements sont aussi divers que le substrat qui les nourrit.

Le germe de ces processus est le désir de replacer l’homme au cœur de la nature.
La maison des origines est confectionnée en adaptant avec des moyens simples la matière d’un site. Nomade ou sédentaire, l’habitat protège autant qu’il rassemble : au dehors le sauvage, au dedans l’espace humanisé.

Cet espace vital s’est petit à petit agrandi et la frontière du sauvage a été repoussée jusqu’aux étendues glacées ou aux forêts primaires. Le sauvage qui s’immisce encore dans le domestique a perdu une grande partie de sa dangerosité. L’homme habite les marais, les forêts, les prairies, les montagnes, les déserts, les bords de mer. L’homme nomadise, s’enterre, construit dans les arbres, vit aux fonds des grottes ou maintenant dans les lieux désaffectés, dans les dents creuses urbaines.

L’homme partout a laissé son empreinte. La nature sauvage a été repoussée.
Les moyens décuplés mis en œuvre avec les machines et les énergies découvertes et développées depuis la fin de la Renaissance ont bouleversé le rapport de l’être humain avec la nature. Les richesses naturelles sont devenues sources de profit et aliments d’un développement débridé. La peur de la nature pourtant est restée.

Elle pousse à une attitude destructrice, à un mépris saccageur comme si l’homme pouvait se détacher de la nature. Cette opposition s’est renforcée, elle prend pour noms : fonctionnalisme, rationalisme, mercantilisme, etc. Habitat et habitude sont étymologiquement associés à l’avoir (habere).

Cet appétit de possession, cette gourmandise débridée conduit l’être humain dans une attitude de domination : il vit contre et non plus avec la nature. Pour retrouver cet « avec », reprenons le chemin de l’homme aux pieds d’argile (homo = né de la terre).

La famille des maisons organiques cherche à ne pas opposer nature et culture, sauvage et domestique, à vivre avec la nature plutôt qu’à la détruire.
Ce vivre avec c’est aussi le partage et la coopération à l’opposé de l’isolement individuel. Cette synthèse du naturel et du culturel, du sauvage et du domestique, c’est aussi la sobriété, la gourmandise maîtrisée.

En parcourant les projets de maisons présentés dans ce cahier, il est frappant de constater que cette base commune se développe dans des démarches et des styles d’une grande diversité.

Les maisons organiques peuvent être fusionnelles lorsqu’elles se lovent dans la nature, qu’elles disparaissent en elle : la nature les couvre et les enveloppe. 
Par mimétisme, elles peuvent reproduire des processus naturels. Pour certaines d’entre elles, c’est la relation avec le dehors qui est primordiale : relation visuelle, variété des espaces intermédiaires entre dedans et dehors, etc.
D’autres maisons sont conçues selon les effets sensoriels qu’elles provoquent, par la lumière, par les matériaux utilisés, par les sonorités ou les formes, effets poussés jusqu’à la sensualité. Mais elles peuvent rechercher un lien avec ce qui n’est pas perceptible par les sens et porter ainsi à la méditation.

Ces différentes orientations ne sont pas exclusives les unes des autres.
Fidèles à leur rôle protecteur, certaines maisons sont maternelles : l’espace intérieur évoque le cocon. La créativité, l’innovation, le caractère déjanté s’expriment aussi.
Pour certaines, la relation aux usages anthropiques du lieu est fondamentale, ce qui conduit à l’emploi de matériaux locaux et au respect d’une histoire ou encore au rappel de styles locaux.

Les maisons organiques peuvent aussi être anti-fonctionnelles car l’homme ne peut se réduire à des fonctions mécaniques. Enfin, on les trouve tant au fond des bois qu’en milieu urbain.

Cette diversité reflète ce qu’elles questionnent : la relation vivante de l’être humain avec la nature. Le mot « avec » résume à lui seul cette recherche de proximité, de coopération, de fusion, de lien, cette aspiration à la connaissance. Comme si la maison organique naissait avec la nature.

Yannick CHAMPAIN
Architecte