Forme et santé (partie 1)

L’expérience des formes

Lorsque nous percevons une forme, nous la touchons avec nos mains ou bien avec nos yeux. Chez les petits enfants, le désir de toucher ou de goûter à tout est encore très fort. Par la suite, le toucher se limitera de plus en plus aux yeux. En touchant une forme pour la première fois plusieurs perceptions sont immédiatement liées. Par le contact, nous sentons la douceur, la dureté de la matière, l’aspect lisse ou rugueux de la surface, la chaleur ou le froid de l’objet.

De même, lorsque nous observons un bâtiment, plusieurs sens agissent ensembles : nous le « touchons » avec les yeux et percevons dans la forme de l’ensemble des aspects très variés, comme sa relation avec la pesanteur, sa plasticité, sa dynamique et ses proportions. Un bâtiment peut donner l’impression d’être massif et lourd, ou bien de s’élever plein de force comme les colonnes d’un temple grec (cf photo n°2), ou encore de nier la pesanteur comme les colonnes à l’entrée de la Faculté d’Architecture de l’Université technique de Delft (cf photo n°3).

Comparaison de colonnes
Photos 2 et 3 : comparaison de colonnes
A gauche : La colonne dorique à Paestum, Italie, 6ème siècle av. J-C.
A droite : Entrée de la Faculté d’Architecture de l’Université technique de Delft, Hollande, de van den Broek en Bakema, vers 1970.
Photos : Pieter Van der Ree

De telles impressions ne sont pas dues, en premier lieu, à la qualité de la construction d’un bâtiment, mais sont plutôt provoquées par la dimension et les proportions des formes. Nous pénétrons involontairement dans la forme et cela fait naître certains sentiments. A ce propos, notre propre corporéité joue un rôle important. D’après Johannes Volkelt, grâce à notre propre « organisation corporelle particulière », nous percevons, comme un faisceau de forces dynamiques, les rapports élémentaires de l’architecture que sont « le porter » et « le peser».

La même chose est valable pour saisir les qualités de mouvement et de calme. Nous connaissons l’expérience du mouvement de notre propre corps et interprétons les formes autour de nous en fonction de cela. Il est surprenant que même un bâtiment, en l’occurrence sans mouvement, peut être senti comme étant en mouvement, comme étant dynamique (cf photo n°4).

TWA Terminal J-F. Kennedy Airport, New-York
Photo 4 : TWA Terminal J-F. Kennedy Airport, New-York, Eero Saarinen 1962
Photo : Pieter Van der Ree

La sensation de mouvement est alors une qualité que nous ajoutons nous-mêmes en tant qu’observateur de l’objet. Cette expérience de pénétration intense dans les formes peut continuer d’agir. Nous allons l’illustrer avec le sens de l’équilibre. Tenir notre propre corps dans la verticalité est possible grâce aux deux organes d’équilibre situés à l’extrémité de nos conduits auditifs. Ceux-ci perçoivent, à l’intérieur, la position de notre tête en rapport avec la pesanteur. A cela s’ajoute la perception visuelle de l’environnement. Si nous nous trouvons dans un environnement de surfaces horizontales et verticales, comme des murs ou des colonnes, notre sens de l’équilibre s’oriente immédiatement relativement à ces plans. La perception sensible de l’extérieur et la perception intérieure de notre corps sont reliées. Et si ces deux perceptions ne coïncident pas, alors des troubles sérieux peuvent se manifester. On a pu le constater, il y a peu de temps, dans des bâtiments ayant des façades inclinées et des couloirs accidentés. En Hollande, il existe une école dont la cantine a non seulement une façade oblique mais présente aussi à l’intérieur des colonnes inclinées et un plafond penché. Peu de temps après l’achèvement de la construction, un article paraissait dans la presse indiquant que, dans cette salle de cantine, beaucoup d’élèves avaient le vertige et même des nausées. Ce même problème se retrouvait dans d’autres bâtiments, aux formes similaires. Une enquête fut engagée par l’Institut de Recherche TNO. Il a été constaté que ce sentiment de vertige était effectivement causé par une quantité excessive de lignes obliques.

Pieter Van der Ree,

Architecte et professeur d’ architecture organique à l’école supérieure d’art Alanus à Bonn/Alfter, Allemagne.
Article parut dans la revue MENSCH + ARCHITEKTUR – 64 – 01/2009, Allemagne.
Publié avec l’aimable autorisation de l’auteur.
Traduit de l’allemand par Johanna Auer et Catherine Prime

Voir la suite de cet article Forme et santé (partie 2)

  • Les formes comme langage visible
  • Biologie de l’habitat et conception des formes
  • L’importance des perceptions sensibles et de la forme

Bibliographie

  • Jürgen Bengel : Was hält den Menschen gesund ?
    Köln 2001. (Qu’est-ce qui permet à l’homme de rester en bonne santé?)
  • C Rittelmeyer : Schulbauten positiv gestalten.
    Göttingen, 1994. (Construire des bâtiments d’école de manière positive)
  • Wulf Schneider : Sinn und Un-Sinn. Umwelt sinnlich erlebbar gestalten in Architektur und Design.
    Leinfelden-Echterdingen, 1995 (Sens et Non-sens. Façonner l’environnement de sorte qu’il puisse être ressenti à travers les perceptions sensibles dans l’architecture et le design).
  • Rudolf Steiner : Zur Sinneslehre. Stuttgart, 1990 (A propos des sens)
  • Johannes Volkelt : System der Ästhetik.
    München,1905 (Le système de l’esthétique)
  • Le Corbusier : Vers une Architecture. Paris, 1923.
  • Pieter Van der Ree : Organische Architektur.
    Stuttgart, 2001 (Architecture organique)